Des corps, des mythes, et des monstres
C'est quand, la dernière fois que vous avez été sincère ? Pas sincère pour dire «j'ai faim», hein. Sincère et vulnérable. Sincère, car sans protection. Sincère, avec cette petite sensation dans un coin de la tête, cette pensée insupportable : «Et si je me faisais rejeter, parce que j'ai été sincère ?». Sincère, avec tous les risques que cela comporte. Aujourd'hui, tout est image, tout est projection, tout doit rentrer dans les cases du «correct». La bonne façon d'écrire ses posts LinkedIn. La bonne façon de retoucher ses photos. La bonne façon de s'habiller, la bonne façon de regarder des films, la bonne façon d'écouter de la musique, la bonne façon de s'amuser, la bonne façon d'être triste. Correct, correct, correct. Il vaut mieux être correct qu'être soi.
Personnellement, je pense que la sincérité est un indispensable quand on veut échanger quelque chose de fort. Quand on veut créer, que ce soit une œuvre ou une relation. Être réel, être vrai, c'est la condition pour fabriquer quelque chose qui ne soit pas bancal. Quelque chose de profond. Qui puisse durer. Mais dans un monde où de plus en plus de contenu est généré plutôt que créé, dans un monde où chaque prise de parole est soupesée, dans un monde où l'authenticité est un argument de vente plus qu'une valeur, quelle place pour la sincérité ? Sait-on même encore la recevoir, l'accueillir en étant soi-même sincère ?
Il y a des gens qui pensent que les témoignages de Transfert sont lus par des acteurices: c'est faux, ce sont les gens auxquels l'histoire est arrivée qui la racontent. Comme si c'était trop beau pour être vrai. Comme si la sincérité n'avait pas sa place dans un récit trop bien ficelé, trop bien raconté. Comme si la préparation, la production, le décorum, empêchaient d'être sincère. Et pourtant. La sincérité n'est pas dans l'instantanéité, elle n'est pas dans la simplicité : elle est simplement dans la volonté de se montrer, sans fard, sans écran de fumée, sans dissimuler. Sans chercher à se conformer à une image, que l'on imagine attendue par les autres. La sincérité c'est dire : «Regardez. Je suis ceci. J'ai créé cela. J'y tiens. C'est beau. C'est imparfait. C'est moi.»
Et c'est dur. C'est dur d'être sincère. C'est dur de s'exposer sans se protéger derrière un masque, un mensonge acceptable ou un second degré. En fait, c'est dur au point d'en être admirable. Qui est plus téméraire que quelqu'un qui se montre vrai ? Qui est plus touchant ? Qui est plus fort que celui qui se donne sincèrement au monde ? Mais, en même temps… qui est plus fou ?
Moi, j'ai choisi. Je suis du côté des fous. «Here's to the crazy ones», comme disait l'autre. Soyez sincères. Nous en tout cas, on essaie.
C'est intéressant, comme question, la sincérité. Ça va plus loin que celle des témoignant·es, ça commence au moment où l'on décide de diffuser un récit. En substance, on se demande comment délivrer une histoire de la manière la plus sincère possible, comment raconter une vérité. Une vérité vécue, ressentie, analysée par la personne qui la raconte au moment où elle l'a vécue. Oui, c'est une vérité, pas la vérité.
Mais c'est ça, Transfert, tendre le micro et recueillir une vérité. Et vous la livrer. Après, c'est votre job de l'accueillir avec le cœur ouvert et d'en faire, peut-être, je l'espère, la vôtre.
Il ne s'agit pas seulement de survivre dans un monde qui vous rejette, mais de trouver la force de danser, d'aimer, de briller malgré tout. Dans la série Pose (2018-2021) de Ryan Murphy, Blanca prononce ces mots : «Ce corps est à moi, cette vie est à moi.» Une phrase comme une révolution intime. Parce qu'il ne suffit pas de se reconnaître : encore faut-il être reconnue. C'est ce que Délia raconte à Sarah Almosnino dans l'épisode «Tout ce qu'ils ne voient pas», disponible pour les abonné·es de Transfert Club. Elle a toujours su qui elle était. Dès l'enfance, dans les silences de sa famille, dans les mots qu'on ne voulait pas entendre, elle sentait une dissonance. Mais il a fallu se battre pour le devenir. Fuir pour survivre, aimer son corps malgré tout ce qu'on lui a infligé. Et recommencer, encore.
Vous l'avez peut-être remarqué, mais dans Transfert, on aime beaucoup faire parler les malades. Je parle bien de «malades» et pas de «maladie». Parce que ce qui nous intéresse, c'est plutôt comment (sur)vivre avec un mal qu'on n'a pas choisi. Et puis, après tout, si être malade était la normalité de certain·es ? Lola a toujours vécu avec la mucoviscidose. Une vie rythmée par les traitements, les hospitalisations, les limites. Et puis un jour, un appel. Une transformation fulgurante de son corps, une renaissance physique. Parce que ce n'est pas si simple de guérir. Parce que quand on n'est plus malade, il faut devenir quelqu'un d'autre. Et personne ne vous dit comment faire. Dans «Delta F508», un épisode tourné par Mona Delahais, ce sont toutes les nuances du corps malade qu'on explore.
Je pourrais me lancer dans un long débat autour de la phrase «qu'est-ce que la peur ?», mais j'ai eu 10/20 en philo, il n'en ressortirait rien de bon, ni de productif. La peur, justement, l'irrationnelle, celle qui nous tient par le ventre, les tripes, qui grouille dans la gorge, n'est pas explicable. Et quand bien même on essayerait, on essuierait des regards, des jugements. Les monstres, Clémence n'y croit pas. Pas plus qu'aux vampires, aux sorcières, aux fantômes, à l'astrologie ou à la vie après la mort. En tout cas, elle n'y croit pas quand il fait jour. Et pourtant, c'est toute l'histoire de sa peur qu'elle raconte au micro de Marie Agassant.
«Les monstres du couloir», diffusion le 2 octobre 2025
Je crois l'avoir déjà dit, mais je me répète (c'est l'âge), ce que je préfère dans Transfert, ce sont les récits «en oignon» (ce terme n'est employé que par moi, à la rédac). Quand on croit qu'on va parler d'un sujet, mais que l'histoire nous amène autre part. Dans un endroit qu'on n'aurait jamais imaginé. Pendant longtemps, Macha pensait connaître son corps. Mais celui-ci est souvent un champ de bataille où s'affrontent l'intime, le social et le politique. Et quand l'équilibre précaire de ces trois frontières s'effondre, il n'est pas rare de se découvrir de nouveaux horizons. Un témoignage recueilli par Clémentine Billé.
«Toute(s) première(s) fois», diffusion le 9 octobre 2025
Le Bureau des lettres oubliées, sur Twitch et Youtube.
«Le Bureau des lettres oubliées» est de retour ! Non, il ne s'agit pas des archives de Transfert, mais d'une émission mensuelle présentée sur Twitch par Marie Lopez, aka EnjoyPhoenix. Chaque mois, elle reçoit un·e invité·e et ils ou elles découvrent ensemble, en direct, des courriers envoyés par ses abonnés. Avec une seule consigne : que l'histoire racontée fasse la part belle à des événements paranormaux vécus. La «retraitée des tutos beauté», comme elle se présente elle-même, partage ainsi sa passion pour le surnaturel. C'est l'occasion de se faire peur (un peu), de rire (beaucoup) et de découvrir ses invités –des créateurs et créatrices de contenu– sous un autre jour. L'émission est aussi disponible en replay !
Nous aussi on aime bien les histoires qui font peur, donc n’hésitez pas à envoyer les vôtres à notre adresse : transfert@slate.fr.
À très vite, entre deux hurlements de terreur (mais sincères).
Sarah et Benjamin